LES
BARS - LES DISCOTHEQUES.
Le
succès rencontré par les premiers bars gay de Nancy dans les années 70
poussent très vite des patrons de bars en place, à cibler cette
clientèle. C'est le cas d'un petit bar d'entraineuses de la rue
Lafayette qui devient en 1980, "le Petit Pimm's". Ce bar porte bien son
nom car il est minuscule. D'abord tenu par la maîtresse des lieux,
France, très vite il est confié à une des futures figures de la vie gay
nancéienne, Bruno, dit Lolotte. Le succès est immédiat, alors que
l'endroit n'est vraiment pas confortable ni attrayant. Lolotte le tient
durant 5 ans avant de reprendre la discothèque "l'Ascot", rue le la
Visitation. Il en fait "le Synonyme". On retrouve au Synonyme
l'ambiance de l'ancien Rocambole. Avec son compère Denis, Bruno y
organise des spectacles de travestis, auxquels ils participent tous les
deux. Ils lancent la troupe des Baronnes, troupe qui continue encore
son chemin dans les années 2000. Cette troupe et ce lieu créeront
d'autres vocations de travestis puisqu'ils seront à l'origine de la
troupe des Make Up et des Faux Cils.
Ces
deux adresses, rue Lafayette et rue de la Visitation tiendront le haut
du pavé gay durant toutes années 80 et une partie des années 90, sous
divers noms. Bruno et Denis revendront le Synonyme à la fin des années
80 pour ouvrir une boite gay à Metz. Mais on aura encore l'occasion de
les retrouver plus tard à Nancy. Entre temps, le Petit Pimm's, après
une courte parenthèse hétéro, sous le nom de Pub Lafayette (1985),
continue à être un bar gay sous le nom de "Tarif de Nuit" (1987), puis
"Cotton Club" (1988) et "Duplex" (1989). Il est rénové et offre un peu
plus de confort et un décor un peu plus sympa aux clients. Mais cela
reste toujours très petit. Quant au Synonyme, lorsque Bruno le quitte,
il devient "Le Haute Tension".
Autre lieu gay, plutôt
gay-friendly, incontournable des années 80 : "le Majestic" (1983).
Cette grande discothèque en plein centre de Nancy avait plus d'un point
commun avec le Palace à Paris : Décor somptueux, musique branchée, des
jeux de lumières et des lasers impressionnants, une sono puissante, une
ambiance de folie, une clientèle majoritairement gay mais pas
exclusivement. Malheureusement, l'aventure ne durera que peu de temps.
Le Majestic laisse néanmoins un souvenir nostalgique à ceux qui l'ont
connu. Il sera remplacé en 1985 par la Scala, qui sera encore plus
éphémère.
A la fin des années 80, le Sida a, comme ailleurs,
refroidi les envies de fêtes. La clientèle va se raréfier dans les bars
gay et l'ambiance ressemblera de plus en plus à une veille funèbre,
puisque chaque semaine verra disparaître un client fidèle ou une figure
de la nuit. Cela n'empêchera pas un nouveau petit bar d'ouvrir ses
portes en 1988, rue de la salle : "le Palmier".
LES
RESTAURANTS.
Coté
restaurants, la rue des Maréchaux, devient la rue gourmande en se
piétonnisant. Une enseigne fait son apparition en haut de la rue : "Le Bistro de Gilles".
Ce restau est ouvert par une figure connue des nuits nancéiennes,
Gilles. Son restau devient très vite l'endroit à la mode de Nancy. Peu
de temps après, il ouvrira également un bar gay-friendly, très classe,
en
bas de cette même rue : "le
Studio".
Malheureusement Gilles sera une des premières victimes du Sida qui fera
beaucoup de ravages dans le milieu gay nancéien. Seul son restaurant
lui survivra encore 30 ans plus tard avec son nom comme enseigne. Autre
restaurant, "le Ferry
III" :
Après la disparition de Jean-Pierre Lumann, c'est un autre Jean-Pierre
qui prend en main la destinée de ce restau après avoir lancé "la Romana". Autre
restau gay-friendly de Jean-Pierre Lumann, "le Vaudémont"
sera lui aussi repris en restant fidèle à sa clientèle par Claude
Gouet. Une nouvelle enseigne fait son apparition au milieu des années
80 rue Saint Dizier : "Le
Store". Ambiance assez proche des nouveaux petits restaus
et coffee-shop du Marais à Paris. Le Store est tenu par
Patrick. En 1988, c'est rue de Metz qu'ouvre un restaurant
bar gai
: "Chez Nous".
LES LIEUX DE RENCONTRE
EN EXTERIEUR.
Au milieu des années 80, la municipalité entreprend de raser les tasses
de la ville et de les remplacer par des sanisettes. La vénérable tasse
du Cours Léopold va disparaître mais les homos vont continuer à
fréquenter cette grande place au milieu de la ville. Les rencontres
tarifées vont néanmoins y être majoritaires. Seule la tasse de la
pépinière (coté rue Braconnot) va encore rester en place. Elle sera
même un temps bombée du
tag "Ici place homosexuelle". A la Pépinière, les taillis le long de la
caserne Thiry sont aussi accueillants. Au marché couvert, dont les
toilettes
gratuites restent indispensables pour les commerçants et les clients,
quelques vieux homos nancéiens restent fidèles à l'endroit. Mais les
années 80 voient la drague en voiture se développer. Elle est plus
sécurisée que la drague à pied. Le parking au bout du cours Léopold
mais surtout l'aire d'autoroute de Villers Clairlieu voient défiler
les ballets de phares dès la nuit tombée. En été, le petit bois qui
jouxte l'aire de Clairlieu est aussi agréable pour les promeneurs dans
la journée.
Culture et
militantisme
Arcadie
Lorraine va disparaître en
décembre 1982, quelques mois
après la structure nationale. Une autre structure apparaissant dès 1982
et déposant ses statuts d'association loi 1901 début 1983, va
immédiatement prendre le relais à Nancy. "Gailor" (contraction
de Gai Lorraine) organise ses premières réunions dans un petit café de
quartier, le Caperlino, 39 rue Sellier. Quelques ex membres
d'Arcadie participent à cette création. Pour assurer son financement
elle va tenter d'organiser des soirées à Nancy mais aura beaucoup de
difficultés à trouver une salle. La municipalité UDF de l'époque, tenue
par Claude Coulais, ne répondra jamais à ses sollicitations.
L'association va multiplier les démarches et demandes de subventions
auprès des collectivités locales, sans jamais avoir la moindre réponse.
Elle organisera des soirées costumées qui vont connaître un beau succès
à Azerailles, petit village entre Nancy et Lunéville et qui vont lui
permettre de s'autofinancer.
En mars 1983, elle
décide d'ouvrir son local
associatif en partenariat avec l'association lesbienne "le Ciel". Pour cela
une association gérante va être créée : "Etre et Connaître".
Certains militants avaient repéré un petit local inoccupé en face du
café de la rue Sellier. "Etre et Connaître" va créer "le Tant Voulu" au 22
rue Sellier. Geneviève Pastre et Hugo Marsan feront
le déplacement depuis Paris pour l'inauguration du local du Tant Voulu.
Une centaine de militants, dont une trentaine de filles du CIEL, seront
présents à cette première en Lorraine. L'événement sera relayé pour la
première fois par les médias locaux. L'Est Républicain consacrera un
encart à cette inauguration et la plupart des radios locales
réaliseront un reportage : Radio Galipette, Radio Active, RAS 102, RGM
de Metz, et même la très officielle Radio Nord Est. Les magazines Gai
Pied, Homophonies et Lesbia lui consacreront aussi un article d'une
page. Le Tant Voulu sera durant quelques années le lieu de convivialité
des gays et des lesbiennes de Lorraine. Grâce à la bienveillance de la
nouvelle municipalité radicale d'André Rossinot, un grand bal sera
organisé le soir dans une salle près de la place Stanislas. Il
rassemblera plus de 300 gays et lesbiennes dans une joyeuse ambiance
qui sera néanmoins gâchée par un groupuscule homophobe qui tentera de
rentrer à coup de bombes lacrymogènes. La police interviendra avec
efficacité.
- En 1983, Gailor va connaître
quelques
dissensions internes et un nouveau groupe va émerger : "Gai, Amitié,
Initiative (G.A.I.)".
Ses objectifs sont : .
Réflexions à thème sur l'homosexualité en France et à l'Etranger .
Prévention Sida .
Convivialité, sorties, repas en commun . Bals
annuels Cette
dynamique association essaimera dans toute la Lorraine et
notamment à Metz où une équipe indépendante se constituera. Elle
publiera un trimestriel "le
Chardon Rose". Elle va
interroger les candidats aux diverses élections, sans plus de
succès.
- En
1982, les lesbiennes de Nancy décident de constituer leur propre
association. Le "Collectif
d'Information et d'Expression Lesbienne" (CIEL), va être
la première association lesbienne de Lorraine. Elles seront domiciliées
à la librairie "Le Temps des Cerises" rue Gustave Simon puis elles se
joindront à l'équipe de Gailor pour l'ouverture et l'exploitation du
local associatif "le Tant Voulu". La soirée du mercredi au Tant Voulu
est animée par le CIEL et réservée uniquement aux femmes. Les objectifs
du Ciel sont : faire sortir les femmes de leur isolement, les divertir,
être une structure d'accueil de défense et d'information. Le Ciel
s'adresse à toutes les femmes et pas uniquement aux lesbiennes.
- En 1988, un groupe de lesbiennes
issues de
l'association G.A.I., GAILEN,
organise des sorties et se réunit les vendredis soirs de 17h30 à 19h au
bar "le Lunéville", place des Vosges à Nancy.
- Le Comité
Aides Lorraine Sud a été
créé à Nancy en septembre 1987.
L'association de lutte contre le Sida de Nancy aura aussi une antenne à
Epinal
Les
émissions de radio :
A Nancy,
les associations gay auront leurs émissions sur Radio Active
104 Mhz et sur Radio Galipettes 103,5 Mhz. - Sur
Radio Active, c'est "Espace Gay" le jeudi de 20h à 22h (1983). - Sur
Radio Galipettes, c'est "Voyage en petite lesbianie" le mardi de
22h30 à 24h (1984). Ces deux radios fusionneront en 1983 pour devenir
Radio Graffiti, mais les émissions gay persisteront puisque dans les
années 2000, cette même Radio Graffiti existe toujours et diffuse la
seule émission gay des ondes nancéiennes. - Il y
aura aussi une émission sur Radio Bergamote (103,6 Mhz) :
"Amitiés Libres", le vedredi à 23h. (1983)
La
presse gratuite :
- L'association Gay Amitié Initiative éditera
un journal trimestriel
gratuit envoyé à tous ses adhérents : "le Chardon Rose".
-
Autre média, encore peu répandu à cette époque, la presse gratuite.
En septembre 1989, un journal gratuit créé à Strasbourg quelques mois
plutôt, "HEP Alsace Lorraine", est distribué dans les lieux gay de Metz
et de Nancy. Des articles sont consacrés à la vie gay en Lorraine et
notamment des nombreuses agressions dont sont victimes les homos dans
notre région sur les lieux de drague. Car malheureusement, la plus
grande visibilité de l'homosexualité n'a pas stoppé pour autant la
violence des homophobes. Les coups, injures et meurtres sont très
répandus, bien que jamais relatés dans la presse officielle régionale.
Hep propose aussi des reportages sur la vie gay locale, des
témoignages, des interviews.
Effervescence
culturelle à Nancy dans les années 80.
Les années 80 à Nancy sont
marquées par une effervescence culturelle
exceptionnelle en raison de personnalités fortes comme Jacques Lang,
Antoine Bourseiller, Patrick Dupont qui donneront à Nancy un
rayonnement exceptionnel.
LE THEATRE
Nancy est depuis les années 60 un ville de théâtre. Le Festival
International du Théâtre de Nancy a été créé par Jack Lang en 1963 et
il en a été le Directeur jusqu'en 1977. En dehors des Festivals,
l'Opéra de Nancy et de Lorraine propose dans les années 80 une
programmation exceptionnelle sous la direction d'Antoine Bourseiller.
De nombreux cafés théâtres sont également créés à travers la ville, ce
qui est plutôt rare pour une ville de province à cette époque.
LA DANSE.
Sous la Direction artistique de Patrick Dupont, le Ballet Français de
Nancy a acquis de 1982 à 1990 une réputation internationale et il est,
dans les années 80, un des moteurs de la vie culturelle nancéienne.
LA MUSIQUE.
Evidemment, on ne peut pas passer sous silence Nancy Jazz Pulsations
(NJP) qui est un des festivals phare de la ville, créé au début des
années 70. Les gays qui ont plutôt la réputation d'aimer la disco ou la
house sont aussi des assidus de ce festival.
1988 : Raffle de la
police dans une tasse nancéienne.
En octobre 1988, un des lieux de rencontres de Nancy, les WC du marché
central, font l'objet d'une surveillance policière. L'endroit se situe
au sous-sol du marché et, depuis longtemps, les homos ont l'habitude de
s'y retrouver, voire même de s'y livrer à quelques attouchements
discrets. Cette fois, la police a décidé de mettre un point final à ces
mauvaises habitudes. Deux policiers en civil se planquent à proximité
des toilettes et dès qu'un homme y pénètre, ils le rejoignent et font
semblant d'uriner juste à coté de lui en attendant sa réaction. S'il
s'attarde plus longuement que nécessaire, s'il a le regard baladeur ou
pire, s'il ne cache pas pudiquement son organe, il fait aussitôt
l'objet d'une arrestation. Dans la journée, ils procèderont ainsi à 6
arrestations. Deux mois plus tard, le traquenard est renouvelé. En
décembre 88, ce sont 10 hommes qui sont arrêtés dans ce même endroit.
Ils sont emmenés sans ménagement à l'Hôtel de Police du Boulevard
Lobau, traités comme de dangereux criminels, photographiés de face et
de profil, contraints de donner leurs empreintes digitales des deux
mains et menacés de voir divulguées leurs m½urs auprès de leur famille
s'ils ne signent pas immédiatement un procès-verbal déjà rédigé. Cette
pratique qui tient plus de l'incitation que de la simple surveillance,
n'empêchera pas la tenue d'un procès à la 4e chambre du Tribunal
Correctionnel de Nancy le 17 janvier 89. Ce procès fera l'objet d'une
campagne homophobe de la part des deux quotidiens régionaux, l'Est
républicain et le Républicain Lorrain, qui n'hésiteront pas à jeter en
pâture à l'opinion publique "ces bonshommes qui ont littéralement
agressé les policiers en faction dans les vespasiennes" (Républicain
Lorrain), "c'est dire la folle ambiance qui règne en ces lieux" (Est
Républicain)... Il y aura quelques relaxes pour des messieurs qui
auront contesté d'être homosexuels et prouvés par le témoignage de leur
épouse ou de leurs enfants qu'ils ont fait l'objet d'une méprise et
d'aveux extorqués de la part de la police. Mais les homosexuels qui
assumeront leur homosexualité seront condamnés à 1000 F d'amende. Cet
épisode démontre que 7 ans après la décriminalisation de
l'homosexualité, les mentalités policières et juridiques restent encore
très nostalgiques de la belle époque où l'on pouvait incarcérer les
homosexuels qui avaient l'impudence de se rencontrer dans des lieux
publics.