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LES ANNEES 30
Alors
qu'à Paris et à Berlin les établissements gay éclosent dans les années
30, la vie de province est plus discrète. A Metz et Nancy, pas de lieu
gay... du moins officiellement. Car les homos de cette époque ont
l'habitude de se rencontrer discrètement dans certains cafés mais aussi
dans les parcs et vespasiennes et lors d'événements particuliers.
LES CAFES.
Deux
établissements ont la cote auprès des invertis messins. Le "CAFE
DE LA LUNE" face à la cathédrale propose une salle de billard, et à
l'époque ce sport est réservé aux hommes, ce qui permet aux homosexuels
messins de se retrouver régulièrement et discrètement dans
l'arrière-salle, assez accueillante et masculine. Le Café de la Lune
est déjà, à cette époque, une institution à Metz, puisque ouvert depuis
1838. Il est le siège d'une quarantaine d'associations messines et
reçoit régulièrement tous les artistes et personnalités de passage à
Metz. Lors de la première occupation allemande (1870-1918) il abrite
les réunions des militants francophiles. Son propriétaire de 1904
à 1919, Paul Vautrin, deviendra maire de Metz en 1924 et jusqu'en 1938.
En 1928, Le Café de la Lune est classé monument historique. Dans les
années 30 c'est un belge, M. Brayer qui préside à sa destinée. Il est
probable, mais non vérifié, que les rencontres entre homosexuels se
faisaient ici à l'insu du gérant de l'établissement. En tous les cas,
elles ont été confirmées par des homosexuels qui fréquentaient
assidument l'endroit avant guerre et qui ont apporté leur témoignage à
l'auteur de ce site dans les années 80. N'oublions pas non plus qu'à
l'époque, en Province, tout établissement, dont la réputation était
d'être un lieu de rencontre pour homosexuels, était systématiquement
fermé par la police des m½urs.
La
weinstube "LES BONS ENFANTS" située rue des Bons Enfants
(aujourd'hui disparue et remplacée par le Centre St Jacques) est
également connue du milieu et très fréquentée par les invertis messins.
Mais tout cela se fait dans la plus grande discrétion au milieu d'une
clientèle hétéro loin de se douter de ce qui se trame dans ces lieux.
Les cabarets, bordels et autres établissements de plaisir hétéro situés
dans le quartier St Ferroy (aujourd'hui disparu) et la rue des Jardins,
alimentent aussi régulièrement la chronique pour des affaires de m½urs
parfois particulières.
LES
BORDS DE MOSELLE.
Autres
lieux fréquentés assidûment par les homosexuels de toute la
région en été : les plages et guinguettes du bord de Moselle, notamment
celle de Moulins-Plage. Rien d'officiel, ni de très visible (sauf pour
les yeux exercés), la discrétion est de rigueur.
LES
VESPASIENNES.
A
cette époque, les homosexuels se rencontrent essentiellement dans les
vespasiennes ou pissotières. Ces édicules, qualifiés entre autres de
"tasses", font le bonheur des homos. Toutes les villes en sont dotées
et Metz n'échappe pas à la règle. En outre, son coté "ville de
garnison", avec ses 12 000 hommes, fait que les tasses sont plutôt
alimentées régulièrement en jeunes bidasses qui goûtent ainsi aux
plaisirs interdits. La "tasse" la plus réputée de Metz est située à
proximité de la Porte Serpenoise. A la tombée de la nuit, les ombres
rodent autour de cet édifice, et l'on fait véritablement la queue pour
satisfaire sa vessie, et probablement d'autres organes. En outre, les
jardins du Palais du Gouverneur tout près, peuvent abriter quelques
échanges furtifs. D'autres pissotières sont également connues des
invertis messins de l'époque : celle de la Place de la Comédie, entre
le Théâtre et le Temple Neuf, sera une des plus fréquentée depuis le
début du XXe siècle. Mais la police des m½urs veille, et la peur de se
faire arrêter ne fait qu'augmenter l'excitation. N'oublions pas que si
les relations homosexuelles entre adultes consentants ne sont pas
interdites, les "épanchements" sur la voie publique tombent sous le
coup de l'attentat aux bonnes m½urs.
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Moulins-Plage
1929.
Dans les années 20 et 30, les guinguettes et bords de Moselle sont très
fréquentés.
Cherchez la femme !
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Café
des Bons Enfants
"Zu den Guten Kindern"
Dans la rue des Bons Enfants (aujourd'hui disparue : Centre Saint
Jacques)
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Place
de la Comédie.
Aussi vieille que le Temple Neuf, la tasse de la comédie (à droite du
temple) a été le point de ralliement des homos de Metz des années 1900
à 1990.
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Porte
Serpenoise.
Haut lieu des rencontres nocturnes, avec à l'arrière, les bosquets du
Jardin du Palais du Gouverneur.
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LES
SOCIETES SPORTIVES, LES CLUBS DE LOISIRS
Si
les parcs et vespasiennes de Nancy sont également très fréquentés par
les messieurs en mal d'une aventure discrète et furtive, les
homosexuels se rencontrent au travers des diverses associations
sportives ou "sociétés" réservées exclusivement aux hommes. Bien sûr,
il ne s'agit pas d'associations homosexuelles mais le cloisonnement des
sexes est encore chose courante et admise dans la société de l'époque.
Les bars, brasseries, cafés, cabarets sont exclusivement fréquentés par
les hommes, comme partout en France. Seules les femmes de "mauvaise
vie" ou de "petite vertu" arrivent à se glisser au milieu de cette
population masculine, car il était impensable pour une femme mariée ou
pour une jeune fille d'aller boire un verre toute seule dans un
quelconque débit de boisson.
Les
"sociétés sportives", les "clubs de loisirs" pratiquent donc aussi
cette discrimination des sexes. Si l'amitié virile qu'on y retrouve ne
dérape jamais et ne se transforme pas en amitié particulière, les
contacts peuvent se faire au travers d'un langage codé que seuls les
homosexuels arrivent à décrypter. La position de la pochette dans le
veston, la façon de serrer la main, divers mots-clefs arrivent
rapidement à cerner si l'on a affaire à quelqu'un "de la famille".
LES
MAISONS CLOSES
A
cette époque, la liberté des m½urs était extrêmement restreinte
dans sa globalité. Si l'homosexualité était rejetée par la société et
considérée comme une forme de délinquance, même si aucune loi ne la
réprimait, le libertinage hétérosexuel n'était pas bien vu non plus. Le
rapport sexuel avant le mariage était proscrit et une femme se devait
d'être vierge lors de sa nuit de noce. Il en résultait d'importantes
frustrations, en particulier pour la population masculine en mal
d'aventures sexuelles. Diverses dérogations permettaient donc de
réguler la sexualité masculine et les maisons closes en étaient une
importante. Chaque ville était dotée de bordels où les messieurs mariés
pouvaient se rendre sans avoir l'impression de tromper leurs épouses et
uniquement pour ce qu'ils appelaient « une question
d'hygiène ». Ils y emmenaient aussi leurs jeunes fils adolescents
pour les déniaiser et leur faire apprendre les gestes de l'amour. Les
prostituées étaient formées par des mères maquerelles qui leur
enseignaient tous les fantasmes de la sexualité masculine.
On
a parlé à juste titre de « maisons de tolérance », non
seulement parce qu'on tolérait ces maisons de plaisirs mais surtout
parce que tous les fantasmes y étaient admis sans que cela puisse
choquer les tenancières. Les jeux sado-maso, la flagellation, les
prostituées déguisées en petite écolière ou en infirmière, tout était
non seulement admis mais surtout mis en scène. Un des grands classiques
du fantasme masculin était aussi l'amour lesbien. Voir deux femmes
faire l'amour ou faire l'amour avec deux ou plusieurs femmes était une
demande récurrente dans tous les bordels. Bien sûr, cela a eu aussi
pour conséquence de créer de véritables rapports intimes et même
sentimentaux entres les prostituées et de développer le lesbianisme. En
revanche les bordels d'hommes étaient peu nombreux. On en comptait
quelques uns à Paris mais il était rare d'en trouver en Province.
Demander un homme plutôt qu'une femme n'était pas non plus très
fréquent dans les bordels populaires, tant la honte de se déclarer
homosexuel et la peur de voir ce secret dévoilé étaient puissantes.
Néanmoins quelques bordels « haut de gamme » destinés à une
clientèle fortunée de passage pouvaient proposer les services de
garçons, parfois recrutés sur les trottoirs.
A
Nancy, il y avait deux quartiers de prostitution dans les années 30.
La
rue du Maure-qui-Trompe et la rue du Moulin, derrière l'église
Saint-Epvre dans la vieille ville, rassemblaient une dizaine de maisons
closes dont les plus courues étaient le « Grand 8 »,
« Le Chat Noir », « le Chabanais », « le
Parisianna ». Elles étaient de petites dimensions et proposaient
des prestations assez classiques.
En
revanche, le deuxième quartier de prostitution était situé à proximité
de l'église Saint Sébastien, rue des s½urs Macaron et rue de la Hâche.
Ici, les hôtels meublés abritaient une prostitution plus clandestine.
Les filles appâtaient le client directement dans la rue ou à l'entrée
des immeubles.
Quelques
établissements s'étaient également spécialisés dans les sexualités
« alternatives » et recevaient une riche clientèle de passage
ou venant de Metz ou Luxembourg pour plus de discrétion. Les nancéiens
se rendant, eux, à Metz dans le quartier Saint Ferroy pour passer
inaperçus.
LE
CARNAVAL DE NANCY
Une
autre « soupape » pour la sexualité masculine était
l'organisation de grands carnavals orgiaques une fois par an dans les
grandes villes françaises. Durant cette journée de mi-carême, tous les
excès étaient permis en toute impunité grâce aux déguisements. C'était
aussi le seul jour de l'année où le travestissement était autorisé. A
Paris, le bal du Magic City et quelques autres bals de travestis
attiraient ce jour là des homosexuels du monde entier qui venaient
travestis et pouvaient ainsi danser entre hommes ce qui était
formellement interdit le reste de l'année. A Lyon, Nantes ou Nancy, il
existait aussi un grand carnaval qui consistait en une cavalcade dans
les rues de la ville mais aussi à divers bals et fêtes dans les
dancings de la ville. Là aussi, c'était le jour de sortie des
homosexuels qui pouvaient rivaliser avec des toilettes excentriques et
se livrer à des petits écarts qui leurs étaient interdits le reste de
l'année.
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Le carnaval de Nancy, prétexte à des défoulements collectifs
mais aussi au travestissement non autorisé le reste de l'année.
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Comme
dans beaucoup de départements de province, la vie gay des Vosges n'est
apparue au grand jour que depuis quelques années. Durant des siècles,
il fallait cacher son homosexualité et les quelques gays qui
s'assumaient n'avaient guère d'autres choix que de se rendre dans les
grandes villes ou de fréquenter les parcs et pissotières pour faire des
rencontres.
A
Epinal, les tasses (pissotières) étaient nombreuses. Celles de la gare
mais surtout celles du quai des Bons Enfants étaient les plus courues.
Dans les années 30, 40, 50, 60, 70 et même 80, différents édicules ont
ponctué le quai des Bons Enfants mais ont toujours attiré les
homosexuels de la ville dès le soir tombé.
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Epinal : Le quai des Bons Enfants et sa tasse dans les années 30. |
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