LES ANNEES 40
L'invasion
des Allemands en 1940 va avoir des conséquences différentes pour les
Mosellans par rapport aux Lorrains des 3 autres départements. Si la
Meurthe-et-Moselle, la Meuse et les Vosges vont être occupés comme une
grande partie de la France, la Moselle va être annexée et redevenir
allemande. Les conséquences pour les homosexuels vont être également
différentes. En France occupé, de nouvelle lois répréssives contre les
homos vont être mises en place par le gouvernement de Vichy,
interdisant notamment les actes homosexuels en dessous de 21 ans. Pour
un régime qui glorifie la famille, l'homosexualité est un comportement
anti-social qu'il faut combattre. A Nancy, comme ailleurs en France,
l'homosexuailté devient encore un peu plus clandestine et les
homosexuels sont obligés de faire preuve d'une discrétion redoublée.
Mais du coté mosellan et à Metz c'est la loi allemande qui s'impose.
17 juin 1940 : Les troupes hitlériennes entrent à Metz.
25 juin 1940 : Avec la signature de l'Armistice, Metz redevient
allemande comme toute la Moselle, le Haut-Rhin et le Bas-Rhin. Les lois
du Reich s'y appliquent et la germanisation est imposée immédiatement :
il est par exemple interdit de parler français. Metz est vidée de la
moitié de sa population, car ceux qui n'ont pas déjà fui l'occupant
sont expulsés en France et spoliés de leurs biens pour peu qu'ils
soient suspectés d'être juifs ou simplement trop francophiles.
La plupart des homosexuels messins n'imaginent pas ce qui les attend.
Les plus anciens d'entre eux se souviennent de la première annexion
allemande d'avant 1918 et du paragraphe 175 qui criminalisait leur mode
de vie. Mais depuis 1935, Hitler a renforcé ce paragraphe 175 et
maintenant, être soupçonné d'homosexualité, c'est s'exposer à une
déportation en camp de concentration et à une mort quasi certaine.
Evidemment, il ne s'agit pas d'attribuer à la seule communauté
homosexuelle d'Alsace-Moselle le monopole de la victimisation de la
répression nazie, mais il ne faut pas non plus l'oublier, comme ce fut
le cas durant les 50 ans qui suivront la Libération. Plus que partout
en France, il n'est plus recommandé d'être juif, communiste,
franc-maçon, témoins de Jéhovah, handicapés, malade mental ou tsigane,
mais contrairement à la zone occupée, le patriotisme pro-français ou
l'homosexualité sont aussi objets de délit et cause de déportation.
Certains peuvent penser que ce sort n'est réservé qu'à des
"délinquants
sexuels" : violeurs, pédophiles, exhibitionnistes ou pris en flagrant
délit "d'atteinte aux bonnes moeurs". Il n'en est rien. Le simple fait
d'être sur un fichier d'homosexuels, d'être dénoncé par ses voisins ou
d'être efféminé peut vous conduire en camp. La ville de Metz est
partagée en pâtés de quinze à vingt maisons (Block). Chaque Block est
surveillé par un habitant originaire d'Allemagne ou par un sympathisant
nazi (Blockleiter) qui est lui-même sous la responsabilité d'un
Zellenleiter à la tête de chaque quartier. Les faits et gestes ou le
mode de vie de chaque individu fait l'objet d'un rapport communiqué à
la Gestapo dès qu'il y a le moindre soupçon de sortir de la norme
officielle. A moins de réprimer totalement ses pulsions homosexuelles,
de se marier et de vivre une vie de famille normale et sans écart, il
n'est plus question pour les homos de vivre dans l'insouciance.
Ce
n'est qu'en novembre 2001 que la Fondation pour la Mémoire de la
Déportation (http://www.fmd.asso.fr) qui, après 4 années de recherches
historiques dans les archives, a publié un rapport sur le sujet de la
déportation des homosexuels en Alsace Lorraine.
Ce rapport a été commandé par le Secrétariat d'Etat aux Anciens
Combattants et Victimes de Guerre pour faire la lumière sur les
revendications exprimées par les associations LGBT et le rejet de ces
revendications par la majorité des associations d'anciens déportés. Il
confirme que la déportation pour motif officiel d'homosexualité n'a pas
existé en France occupée, mais qu'elle a bien concerné la
France
annexée. Ce rapport fait état de 210 personnes déportées de France pour
homosexualité dont 206 depuis les départements du Haut-Rhin, du
Bas-Rhin et de la Moselle. Seuls 4 personnes semblent donc avoir été
déportées pour homosexualité depuis la France occupée.
En 2007, la FMD a poursuivi ses recherches, notamment en identifiant
avec exactitude les personnes déportées et les motifs de leur
déportation. Ces nouvelles recherches vont apporter un éclairage
nouveau et encore différent. En effet, le camp de concentration de
Natzweiler (Struthof) en Alsace comptait une section de
« triangles roses », donc de déportés au titre du
paragraphe
175. Dans un premier temps, 192 hommes ont été identifiés comme
déportés à Natzweiler et provenant des territoires annexés d'Alsace et
de Moselle. Après étude, il s'avère que 178 de ces hommes étaient des
homosexuels allemands.
Voici le détail des nationalités des 215 homosexuels enfermés au
Struthof :
- 199 homosexuels dont la nationalité est connue.
- 178 allemands,
- 14 français (dont 13 alsaciens lorrains)
- 8 européens (4 polonais, 1 autrichien, 1
norvégien, 1 russe, 1 tchèque)
-16 homosexuels
dont la nationalité est
inconnue.
Certains de ces
homosexuels ont été ensuite transférés dans d'autre
camps comme Dachau ou Buchenwald. Sur ces 215 homosexuels, seuls 45
seront survivants en 1945.
Concernant
les homosexuels français recensés au Struthof , 10 sont
alsaciens, 3 sont mosellans et 1 est originaire de la France occupée.
Mais
le sort des homosexuels français déportés par les allemands ne se
limite pas au camp du Struthof. D'autres parcours plus complexes ont
été recensés.
D'autres
homosexuels alsaciens et lorrains n'ont pas été déportés en
camp de concentration mais emprisonnés à Metz, Mulhouse ou en
Allemagne.
Il
semblerait que les homosexuels alsaciens lorrains aient été
majoritairement expulsés en « France de l'intérieur »
en 1940
au moment de l'arrivée des allemands. Rien qu'à Mulhouse, 95
homosexuels ont été expulsés le 27 juin 1940. Par la suite, les
archives recenseront 22 Alsaciens et Mosellans arrêtés au titre du
§175. Parmi eux se trouvent les détenus du Struthof. Il y aura 15
survivants recensés, 6 décédés en détention et 1 disparu.
A la Libération en 1945, Metz retrouve la France. Les homosexuels ne
dépendent plus du paragraphe 175 des Allemands mais de l'article 331
voté en 1942 par le gouvernement de Pétain. En effet, si le nouveau
gouvernement français de la Libération abroge toutes les lois
scélérates de Vichy et notamment les lois antisémites, il "oublie"
volontairement la loi discriminant l'homosexualité qui reste donc un
délit. Les rescapés des camps qui avaient été déportés pour
homosexualité sont considérés comme des délinquants au même titre que
les prisonniers de droit commun. A ce titre, leur mémoire n'est pas
reconnue par les autorités et par les organisations d'anciens déportés.
Parmi les 210 homosexuels français déportés, dont la majorité ne revint
pas des camps, un seul aura le courage de témoigner en 1982. Pierre
Seel, un mulhousien déporté à l'âge de 18 ans, simplement parce qu'il
figurait sur un fichier d'homosexuels transmis par la police française
à la gestapo, suite à une plainte qu'il avait porté avant-guerre pour
un vol de sa montre avec agression sur un lieu de drague de Mulhouse.
C'est une prise de position de l'Evêque de Strasbourg en 1982, Mgr
Elchinger, qualifiant les homosexuels d'infirmes, qui le fera sortir de
son long silence. Aucun homosexuel messin ou mosellan ne témoignera des
raisons de sa déportation. Seules les archives retrouveront leurs noms
qui ne seront pas divulgués pour respecter leur mémoire et leur volonté
de rester silencieux. Ce silence assourdissant a de nombreuses raisons
qu'il convient de respecter :
- Comme précisé plus haut, l'homosexualité reste un délit à la
Libération, et aucun déporté ne veut s'exposer à nouveau en
revendiquant son arrestation pour cause d'homosexualité. Même si
l'oubli est impossible, il faut s'efforcer de vivre "normalement".
- Un sentiment de culpabilité très fort s'empare des rescapés
homosexuels dont le motif de déportation est presque ressenti comme
futile et honteux face au drame qui emporta des millions de juifs y
compris des enfants innocents dans la barbarie nazie. La société
bien-pensante considère que la religion, les idées politiques, la race
ou le fait de résistance sont tout de même des raisons autrement plus
nobles que d'avoir aimé dans sa vie un autre homme.
- La société de l'époque reste encore très hostile à l'homosexualité.
Reconnaître les raisons de sa déportation, s'est aussi "avouer" son
homosexualité aux yeux de ses proches. Quand ces derniers sont au
courant, ils ne souhaitent pas non plus être la cible de la réprobation
populaire ou de la raillerie des voisins. La honte est de mise.
- Enfin, la France n'a rien à faire de ces pédés mosellans et
alsaciens, considérés d'ailleurs comme des Allemands. Dans le reste du
pays, quasiment aucun n'a été inquiété pour ses m½urs. D'ailleurs
l'élite intellectuelle homosexuelle parisienne a continué à vivre
normalement durant l'occupation et certains noms célèbres ont même
goûté aux joies de la collaboration. Les intellectuels et les
historiens resteront donc muets sur ce sujet et personne ne demandera
jamais à ces déportés de témoigner. Après l'assassinat d'homosexuels
dans les camps, c'est leur mémoire qu'on assassine après la Libération.
L'Allemagne sera moins aveugle sur ce sujet, puisqu'elle reconnaîtra ce
fait historique bien avant la France.
Ce n'est que dans les années 90 que les associations homosexuelles se
battront pour cette reconnaissance. Leurs gerbes de fleurs à la mémoire
des triangles roses seront piétinées à plusieurs reprises par les
associations d'anciens déportés dont la conduite ne sera pas plus
honorable que celle des négationnistes. Ce n'est qu'en 2006, que pour
la première fois, une association homosexuelle est autorisée à se
joindre aux cérémonies du souvenir de la déportation à Metz. Mais elle
sera encore condamnée à déposer sa gerbe après la fin de la cérémonie
durant laquelle aucune mention des déportés homosexuels n'est faite.
|