Libération.
A la Libération en 1945, Metz retrouve la France. Les homosexuels ne
dépendent plus du paragraphe 175 des Allemands mais de l'article 331
voté en 1942 par le gouvernement de Pétain. En effet, si le nouveau
gouvernement français de la Libération abroge toutes les lois
scélérates de Vichy et notamment les lois antisémites, il "oublie"
volontairement la loi discriminant l'homosexualité qui reste donc un
délit. Les rescapés des camps qui avaient été déportés pour
homosexualité sont considérés comme des délinquants au même titre que
les prisonniers de droit commun. A ce titre, leur mémoire n'est pas
reconnue par les autorités et par les organisations d'anciens déportés.
Parmi les 210 homosexuels français déportés, dont la majorité ne revint
pas des camps, un seul aura le courage de témoigner en 1982. Pierre
Seel, un mulhousien déporté à l'âge de 18 ans, simplement parce qu'il
figurait sur un fichier d'homosexuels transmis par la police française
à la gestapo, suite à une plainte qu'il avait porté avant-guerre pour
un vol de sa montre avec agression sur un lieu de drague de Mulhouse.
C'est une prise de position de l'Evêque de Strasbourg en 1982, Mgr
Elchinger, qualifiant les homosexuels d'infirmes, qui le fera sortir de
son long silence. Aucun homosexuel messin ou mosellan ne témoignera des
raisons de sa déportation. Seules les archives retrouveront leurs noms
qui ne seront pas divulgués pour respecter leur mémoire et leur volonté
de rester silencieux. Ce silence assourdissant a de nombreuses raisons
qu'il convient de respecter :
- Comme précisé plus haut, l'homosexualité reste un délit à la
Libération, et aucun déporté ne veut s'exposer à nouveau en
revendiquant son arrestation pour cause d'homosexualité. Même si
l'oubli est impossible, il faut s'efforcer de vivre "normalement".
- Un sentiment de culpabilité très fort s'empare des rescapés
homosexuels dont le motif de déportation est presque ressenti comme
futile et honteux face au drame qui emporta des millions de juifs y
compris des enfants innocents dans la barbarie nazie. La société
bien-pensante considère que la religion, les idées politiques, la race
ou le fait de résistance sont tout de même des raisons autrement plus
nobles que d'avoir aimé dans sa vie un autre homme.
- La société de l'époque reste encore très hostile à l'homosexualité.
Reconnaître les raisons de sa déportation, s'est aussi "avouer" son
homosexualité aux yeux de ses proches. Quand ces derniers sont au
courant, ils ne souhaitent pas non plus être la cible de la réprobation
populaire ou de la raillerie des voisins. La honte est de mise.
- Enfin, la France n'a rien à faire de ces pédés mosellans et
alsaciens, considérés d'ailleurs comme des Allemands. Dans le reste du
pays, quasiment aucun n'a été inquiété pour ses m½urs. D'ailleurs
l'élite intellectuelle homosexuelle parisienne a continué à vivre
normalement durant l'occupation et certains noms célèbres ont même
goûté aux joies de la collaboration. Les intellectuels et les
historiens resteront donc muets sur ce sujet et personne ne demandera
jamais à ces déportés de témoigner. Après l'assassinat d'homosexuels
dans les camps, c'est leur mémoire qu'on assassine après la Libération.
L'Allemagne sera moins aveugle sur ce sujet, puisqu'elle reconnaîtra ce
fait historique bien avant la France.
Ce n'est que dans les années 90 que les associations homosexuelles se
battront pour cette reconnaissance. Leurs gerbes de fleurs à la mémoire
des triangles roses seront piétinées à plusieurs reprises par les
associations d'anciens déportés dont la conduite ne sera pas plus
honorable que celle des négationnistes. Ce n'est qu'en 2006, que pour
la première fois, une association homosexuelle est autorisée à se
joindre aux cérémonies du souvenir de la déportation à Metz. Mais elle
sera encore condamnée à déposer sa gerbe après la fin de la cérémonie
durant laquelle aucune mention des déportés homosexuels n'est faite.
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