Lorraine Gay

 


 

(3/3)

Jean-Luc : Souvenir de drague à Metz dans les années 80

 

Et les médias n'en parlaient pas ?

Quels médias ? Le seul magazine gay de l'époque c'était Gai Pied. Il aurait fallu qu'il fasse 500 pages pour parler de toutes les agressions en France. Quant au quotidien régional c'était silence total. Il pouvait faire une colonne sur un chat écrasé mais jamais un mot sur les homos tabassés. Quant aux meurtres, c'était généralement quelques lignes du genre : "On a retrouvé un jeune marginal égorgé hier soir dans un lieu interlope de Metz. La piste s'oriente vers ses fréquentations peu recommandables." Le mot homophobie n'existait même pas. A cette époque, j'ai vraiment compris ce qui était arrivé aux juifs pendant la guerre. Comment des millions de personnes se sont fait mener docilement à l'abattoir dans l'indifférence générale, avec la complicité des médias et des leaders d'opinion. Sans comparer le sort des homos et la tragédie des juifs, j'ai simplement compris comment une société peut laminer les différences, culpabiliser les minorités, et glorifier les lâches.

Quelle différence avec aujourd'hui ?

Les agressions existent toujours, mais je pense qu'elles sont moins nombreuses. En tout cas, aujourd'hui on en parle. Les homos les premiers, ils n'hésitent plus à porter plainte. Les associations gay font un bon travail en dénonçant les cas qui leur sont rapportés. La presse commence peu à peu à en parler à travers quelques cas qu'elle médiatise. On arrête enfin les casseurs de pédé, on les juge et on les enferme. Mais il reste encore beaucoup de travail à faire pour éradiquer ce fléau social qu'est l'homophobie. C'est pourquoi je pense qu'il est nécessaire que nos politiques reconnaissent enfin l'insulte homophobe, qui est encore la porte ouverte à toutes les exactions. L'impunité et l'indifférence face à l'insulte homophobe incite de jeunes esprits faibles à passer à l'acte.

Et la drague aujourd'hui ?

Ça fait très longtemps que je ne drague plus dans les sous-bois. Je préfère fréquenter les back room à Paris ou à Sarrebruck ou les saunas gay de la région. Ces lieux sont plus sécurisés que les aires d'autoroute ou les parcs. Malheureusement, ils sont seulement tolérés par les autorités et si demain un pouvoir réactionnaire décidait de les fermer, nous serions condamnés à retrouver nos parcs et nos pissotières.


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